Pandémie et perspectives par Garaudy Laguerre
Quand l’humanité fait face au danger, quand elle est menacée de destruction ou par la perte galopante de collectivités, il y a certainement différents courants de pensée qui font surface : ceux qui craignent la catastrophe, ceux qui voient une fin apocalyptique, ceux qui proposent des recettes pour entamer la reprise ou anticiper l’avenir. Évidemment rentrent également en scène différentes philosophies pour expliquer le phénomène qu’il soit d’ordre social, biologique ou naturel. Ce sont pour la plupart, différentes approches qui vont surgir ou faire école. Mais de ce phénomène, on peut aussi voir se dessiner un nouvel ordre qui sera structurel, social, mondial, culturel, selon la portée de l’événement.
Ici, la crise n’est pas seulement sanitaire, mais également, politico-sociale, avec ses conséquences sur l’avenir des populations, des nations ; sur l’humanité et sur sa réorganisation sociale.
C’était le cas pour la peste noire. Elle avait tué entre 75 et 200 millions de personnes, pendant le Moyen-âge (entre 1347–1351) ; avec 25 millions de morts en Europe, représentant un tiers de sa population décimée.
La grippe espagnole a également offert son bilan significatif, environ 500 millions de personnes ont été infectées. En deux ans, de 1918 à 1920, cette pandémie a fait au bas mot, 50M de morts. L’Inde, à elle seule, a perdu 5% de sa population.
Ces deux pandémies ont influencé de manière significative, nos mœurs, nos priorités sanitaires, pour certains pays, et l’organisation sociale de certaines sociétés.En dépit de ces prédictions, de ces craintes de fin du monde, il nous faut reconnaitre que les principes fondamentaux sont restés les mêmes, en termes d’intérêts nationaux, d’ambitions sociales et économiques des différents États, une fois ces pandémies ou crises résorbées !
Qu’il s’agisse de catastrophes naturelles ou d’événements sociaux politiques créés par l’homme (tels que les guerres mondiales, les découvertes de nouvelles technologies, les armements, la bombe nucléaire…); les mêmes prédictions de fin du monde sont récurrentes, avec les mêmes corolaires, de théories, de philosophies et d’approches sur la base desquelles devraient se construire la nouvelle société, un nouvel ordre mondial ou une nouvelle organisation sociale.
Il va sans dire que ces catastrophes, bien que souvent soudaines, sont parfois prévisibles. Leur gestion assumée par la société et par ses élites peut déterminer leur (issue) destin !
- Il faut aussi reconnaître que cette crise présente de gros défis et de réels dangers pour tous, mais également, certaines opportunités pour d’autres.
- L’opportunité de voir et de faire les choses autrement.
- L’opportunité de renforcer les bases de la nation et de développer un autre discours, une autre dynamique.
- Utopique peut-être, mais possible !
Si la crise actuelle menace d’infléchir l’économie mondiale, elle risque de faire basculer l’économie de certains pays en particulier, au profit d’autres, généralement moins vigilants. Il faut dès lors se demander jusqu’à quel point certaines puissances militaires et économiques, de premier ou de second rang, accepteront de perdre ou de négocier leur position, jadis privilégiée.
Il faut également se demander quelles sont les opportunités pour nous, pour un pays comme Haïti. Comment passer à travers cette crise et en sortir renforcés ?
Quand une nation fait face à une crise d’une envergure internationale, menaçant sa vitalité, il faut analyser les paramètres internationaux et nationaux. Il faut savoir gérer l’urgence et en même temps, se projeter vers l’avenir.
La vérité c’est que la réalité haïtienne ne se prête ni à la prudence sanitaire ni au conservatisme social; les deux, nécessaires dans un contexte de pandémie.
La norme nationale est que les gens sont en carences de tout besoin : santé, loisirs, besoin social, culturel, nutritif (pour certains…) et que tous ces besoins sont de la responsabilité individuelle, sans normes ni interventions préétablies par l’État. Un État déjà discrédité pour ne pas dire inexistant !
Nous sommes en pleine crise de leadership, de moralité, de justice et de décence dans cette gestion des affaires de l’État, trop longtemps dénoncée. Situation, que nous n’aurions jamais dû tolérer, au regard de la réalité de notre région et de ce qui se passe à travers le monde généralement ; mais surtout en vertu de notre histoire et des aspirations du peuple digne, que nous sommes encore collectivement.
Cette situation engendre à la fois une culture de méfiance, défaitiste, irrationnelle ; un infantilisme confiant dans notre invincibilité (ça n’arrive qu’aux autres), l’illusion que nous, on peut tout vaincre ou tout au moins, tout surmonter.
Après tout, en effet, si nous sommes encore là, c’est que nous sommes invincibles…
Il est sans doute vrai que cette attitude, bien canalisée, aurait pu être un atout majeur sous un leadership avisé. Dans les faits, elle est devenue un trait culturel, encouragé, pratiqué parmi les élites et même au sommet de l’État pour que les vrais problèmes ne soient pas posés, pour que nous nous résignions.
Cette mentalité est traduite par la croyance que vivant déjà dans une situation insalubre, nous avons de ce fait une résistance amplifiée aux virus de tout genre. De l’esclavage, au racisme, du colonialisme, à l’impérialisme…, nous avons fini par développer tous les anticorps appropriés. Nous ne sommes certainement pas aussi fragiles que les autres! Et combien doivent souhaiter que « Jesus » ne « revienne » pas aujourd’hui ?
Je ne veux pourtant pas nier les différenciations physiologiques entre les peuples de différentes régions, qui ont dû s’adapter à leurs environnements, mais il me faut admettre ici que l’argument a pour but de dissimuler notre manque de préparation. Des parades, face aux pires crises sanitaires de notre génération. Ignorant, qu’ici en Haïti comme dans le Bronx ou à Harlem, nous avons en commun un préalable propice à la létalité du virus : la pauvreté ! Tout ceci, pour exprimer à la fois du courage, même improductif, et du déni, devant l’inattendu, tout simplement pour convertir une situation de fragilité, de misère et d’échecs en victoire illusoire.
Cette gymnastique fataliste qui se veut pragmatique est peut-être bonne pour le moral en attendant que l’inévitable tombe parmi nous, mais n’apporte aucune solution à court, moyen et long termes.
Certains soutiennent même que notre précarité est devenue notre force!
C’est en effet la logique, la mentalité qui protège les élites économique et politique, responsables du Statu quo ; ou mieux encore, le fait perdurer. Or, notre grand problème est justement le Statu quo et le leadership.
Face au caractère inattendu et imprévisible de cette pandémie, la capacité d’un État à répondre efficacement dépendra de sa force ou de sa fragilité. Quelles sont ses bases infrastructurelles, sa culture, la mentalité de ses élites, l’organisation de l’État et les priorités qu’il se donne ?
Si cette catastrophe vous trouve en état de désœuvré, votre réponse s’y reflètera. On a ainsi vu les failles des systèmes de santé de certains pays dits développés, notamment, l’Italie et l’Espagne.
Dans les deux cas susmentionnés, on parle certainement de failles, mais non pas de désemparement, car leur système de santé, ils l’ont construit. Plus que les équipements, qui, en fonction de la gravité de la situation, peuvent ne jamais suffire; il s’agit des ressources de l’État, du système qui aura été mis en place, de la priorité et de l’importance accordées à la population avant la pandémie. Et bien entendu, de la crédibilité et du minimum de confiance que les peuples accordent aux dirigeants.
S’il faut laisser les questions médicales purement techniques aux spécialistes, nul ne peut nier que les questions de santé publique, de crise sanitaire, de pandémie, de leurs gestions, des ressources qui y sont investies en prévision des dégâts qu’ils peuvent causer potentiellement, sont les résultats des politiques publiques et de leur gestion; de perspectives et de visions.
De visions, avant et après ladite crise.
Avant et après, parce qu’une pandémie ou une crise ne développe pas spontanément chez les dirigeants des compétences ou des capacités en élaboration de politiques publiques.
En fait, lors de crises, l’essence même de votre leadership et vision politique et économique, pour vous-même et votre pays, se précise et se focalise. Mais plus important, le désir des dirigeants ou d’une société à se renforcer, à survivre, à perdurer se multiplie par trois.
On l’a vu avec Donald Trump et d’autres leaders, qui souhaitent sortir de cette crise renforcée, en amplifiant, ce qu’ils ont toujours fait. Trump n’a pas cessé de vanter son succès avéré à protéger et sauvegarder l’Amérique, afin de garder le pouvoir : «Make America great again!»
Pendant cette crise de dimension internationale, il envoie une flotte militaire dans la Caraïbe, menaçant le Venezuela. La nature de l’État américain n’a pas changé à cause de la crise, ils pensent non seulement à maintenir leur statut mondial, mais encore, montrer au reste du monde que leur politique internationale n’a pas changé, à cause de la crise. Ils pensent donc aussi bien à la crise qu’à l’après-crise. Il faut reconnaitre que certaines fois, la crise peut même représenter un salut inattendu.
Cette perspective n’est pas perdue par les leaders russes, chinois vénézuélien ni même par la Corée du Nord, qui vient d’effectuer d’autres tests balistiques. Donc, pas de bateau de guerre américain dans leurs rades.
Ce qui est vrai pour ces leaders l’est aussi pour nous: la nature de ceux qui sont au pouvoir et leur allégeance n’ont pas changé.
Au contraire, ils peuvent y voir une opportunité d’amplifier leurs pratiques et d’en récolter des bénéfices.
La question est de savoir maintenant : que font nos leaders et représentants actuels ? Qu’est ce qu’ils ont l’habitude de faire et qu’est ce qu’ils voudraient renforcer et voir après la crise ?
Sans répondre à ces questions, à regarder leur palmarès, s’ils sortaient renforcés de cette crise, on serait beaucoup plus au bord de l’anéantissement…
Certains peuvent penser qu’il est inconvenant de parler de sédition au moment d’une crise sanitaire nationale à dimension internationale. Il est cependant impératif que nous ayons un leadership plus compétent et avisé pendant cette crise pour pouvoir établir les perspectives d’avenir.
Si les moyens et les forces requis ne sont pas à point pour un chambardement ou un changement de 900 sur notre route, il est impératif de ne pas laisser les présents dirigeants seuls, à diriger notre pays : ce serait le comble du défaitisme, si nous pensons n’avoir pas le choix.
- La nécessité qu’ils soient renforcés ou écartés n’est plus à prouver…
- La facture due à leur manque de vision et de solutions sera payée par nous tous.
- Cette crise concerne toute notre société et l’avenir du pays.
- Si les présents dirigeants survivent à cette crise, quelles qu’en soient les conséquences ou les issues, on aura mérité notre sort.
Je conçois mal que les politiques, ou ce qu’il convient d’appeler l’opposition n’aient pas une position politique commune ou sectorielle sur cette crise, un projet d’intégrer ou de partage de pouvoir ou de responsabilités ?
Comment vouloir renverser un président et un pouvoir pour gabegie et autres délits et ne pas vouloir le renverser ou entrer en dialogue avec lui quand la nation fait face potentiellement, à l’une des plus grandes crises humanitaires ?
Pas que la bête ou la bêtise change de nature, mais des fois, il faut frapper à une porte, signifier son intérêt pour l’avenir et pour l’Histoire, même quand on sait qu’elle risque de ne pas s’ouvrir devant soi. Alors, à ce moment, il est justifié de la faire sauter, pour sauver le pays et l’avenir. De toute façon, les masses sont dans les rues, pour les cartes électorales et à la recherche de quoi vivre, manifestations, défiant le Corona et le pouvoir et les directives d’un pouvoir peu compétent et discrédité.
Ils sont peut-être, pour avoir trop faim, être trop fatigués, trop déçus et sans leadership, prêts à aller jusqu’au bout.
- L’opposition aurait pu au moins planter sa bannière, une autre vision, une autre perspective et une autre manière de faire les choses.
- Mais, que fait l’opposition et que fera l’opposition après la crise?
- Créer sa propre crise ?
- Renverser quelqu’un ?
Opposition, pourquoi faire, si elle non plus n’a ni solution, ni perspectives, ni vision, ni contribution à apporter, dans cette conjoncture combien fragile, à tous les points de vue? Quand la vie de milliers d’Haïtiens et de tout ce qui reste du fondement économique de notre société est en jeu ?
Il est compréhensible et admissible que les citoyens ordinaires se réfugient dans la peur, peur justifiée, des conséquences inattendues de cette pandémie.
Mais pour juguler les conséquences potentielles de cette pandémie et celles à venir, l’aide internationale pourrait venir en apport à nos plans et projets, mais ne nous sortira pas de là où nous sommes. Cela n’a pas été le cas avec PetroCaribe et ne sera pas le cas avec l’aide pour lutter contre le Coronavirus. Surtout, pas avec les dirigeants que nous avons.
Quid de l’alternative démocratique, faut-il espérer le chambardement ou suffit-il de sonner la sonnette d’alarme ?
D’abord, il nous faut constater que la plupart des élections ont été truquées ou contestées.
De ce point de vue, les élections n’ont jamais constitué une alternative transparente honnête, une garantie de bonne gouvernance ou d’un projet national viable.
Il serait de bon ton de sonner l’alarme en se préparant pour le chambardement, car, du train où ça va, qu’on le veuille ou non, le chambardement reste l’alternative inévitable dont il faut tenir compte… c’est un fait historique social, car la société ne peut continuellement patauger… sans projet. Les masses ne vont pas rester éternellement au stade de l’observation.
Ismail Hanyeh à Gaza, ainsi que Maduro avaient gagné des élections crédibles, qui ont pourtant été contestées par les É.-U. Maduro a bien un projet national, mais pas dans l’intérêt américain…
Et, Castro et Maduro sont encore au pouvoir, grâce aux alliances qu’ils ont faites pour protéger leur projet national…
Dans la perspective de construction d’une société nouvelle, on ne peut écarter la perspective d’un chambardement… au contraire, il faudrait construire le leadership pour que cela devienne productif!
La perspective de Von Clauswitz, sur la nature de la guerre: ( qui serait la continuation de la politique par d’autres moyens violents), s’applique à la lutte contre cette pandémie, que Trump a lui-même caractérisée de guerre. La politique des dirigeants ne va pas changer, ils vont continuer leur même politique, avec d’autres moyens…
Il nous faut un projet national sur le moyen et long terme, « by any means necessary »!
Les responsables politiques au pouvoir comme dans l’opposition, avec des responsabilités divergentes et différentes, doivent prendre leur courage à deux mains, face à la nation qu’ils veulent diriger, car la gestion de la crise en dira long sur notre situation d’après crise.
Il est malheureusement concevable que ce pouvoir, en complicité avec un certain pan de la communauté internationale et l’immobilisme de l’opposition, puisse, à notre défaveur, perdurer au-delà de cette crise.
Il est concevable, parce que le mal existe et que le mal est non seulement parmi nous, mais qu’il nous dirige.
Mais, il est aussi concevable avec le marasme annoncé, les défis et le déclin inévitable de certains « amis » détracteurs, une lueur d’espoir pourrait naître, et qu’avec le leadership nécessaire, une vision nationaliste et du courage, même dans les moments les plus difficiles, on pourrait arriver à faire la différence et changer le cours de l’histoire, pour le bien de notre pays et celui de notre peuple.
Car, l’ultime question et notre plus grand dilemme actuel, ce n’est pas le Corona Virus, il y aura toujours une catastrophe naturelle inattendue : tremblement de terre, tsunami, etc. la question est de savoir, qu’après 10,000, 100,000 ou 1,000,000 de morts, par Corona ou préférablement, par la révolte populaire ou une lutte pour la libération nationale, qu’adviendra-t-il de nous, de notre société, qu’est ce qui survivra de Haïti et de notre contribution à l’humanité?
- Il est encore temps de sauver l’honneur et de sauver Haïti.
- Port-au-Prince, dimanche 5 avril 2020.
- Garaudy Laguerre.